Dans cette série, nous vous présentons quatre femmes inspirantes qui partagent leurs recettes et leurs histoires d’espoir et de courage. Brett Tarver a suivi Dennis Prescott dans son voyage dans le cadre de la campagne Sans Faim.
Ejigayehu est penchée sur son fourneau et remue une petite poêle au-dessus du feu. Je m’assois derrière elle pour observer la suite des événements.
Même le café le plus branché de la planète ne pourrait pas rivaliser avec l’arôme qui s’échappe de cette cuisine : c’est l’odeur des grains de café torréfiés, cueillis de ses propres mains sur ses propres plants par Ejigayehu, puis laissés à sécher sous la chaleur du soleil éthiopien.
Le feu est chaud. Une amie d’Ejigayehu prend la relève. Photo : Brett Tarver
Tandis que les grains de café approchent de la torréfaction parfaite, j’entends des conversations et des rires dehors. Les amies et voisines d’Ejigayehu arrivent petit à petit chez elle. L’une d’elles prend la relève pour terminer la torréfaction.
C’est l’heure du café dans cette campagne éthiopienne, et j’ai très hâte de m’y joindre!
Un mélange d’amitié
Ejigayehu déroule un tapis d’herbes fraîches et tout le monde s’assoit. Nous allons maintenant moudre le café. Ejigayehu pulvérise les grains avec de simples mortier et pilon. Le martèlement rythmé est presque hypnotisant.
Ejigayehu moud son propre café, qui fait partie de la cérémonie traditionnelle du café. Photo : Dennis Prescott
Tandis qu’elle s’affaire, toute la maisonnée poursuit ses conversations. On se tient au courant des dernières nouvelles. On se croirait dans mon Tim Hortons de quartier et pourtant, je suis à plus de 11 000 kilomètres de chez moi. Je ne comprends pas leur langue et je viens tout juste de rencontrer les personnes avec qui je suis assis aujourd’hui.
Et pourtant, alors que l’eau bout et que l’on dispose les tasses sur un plateau, je me sens parfaitement chez moi. J’ai hâte d’en savoir plus sur mes nouvelles amies et sur ce qui les lie si fortement. Il doit y avoir plus que ce café divin.
Les fèves moulues par Ejigayehu, savamment torréfiées, sortent tout juste du feu. Photo : Brett Tarver
Je me tourne vers Meron, mon traducteur de Vision Mondiale Éthiopie, et je commence à lui poser des questions. Ce que j’apprends de ses réponses va me rapprocher d’une femme venue de mon propre passé, à qui j’ai dit adieu il y a longtemps.
Je ne m’attendais pas à vivre cela aujourd’hui.
Une plongée dans la force
Les femmes présentes dans cette pièce ont traversé ensemble toutes les épreuves. Mais elles ont aussi célébré de beaux événements, fêté de nombreux succès. Elles me confient que le secret de leur force commune est le groupe d’épargnes et prêts de leur communauté.
Intéressant! Au Canada, nous essayons la plupart du temps de maintenir les amitiés et les affaires séparées, mais ici, il n’y a aucune différence. Ces femmes célèbrent le partenariat qui a changé leur vie et celle de leurs enfants.
Les enfants d’Ejigayehu apprennent à faire des économies grâce à l’exemple et l’expérience qu’elle leur a transmis. Photo : Brett Tarver
« Avant, seuls les hommes riches pouvaient économiser », explique Ejigayehu, alors que le café commence à infuser. « Nous n’avions jamais imaginé que nous pouvions le faire. Nous n’avions pas conscience de notre valeur. »
Apprendre sa valeur
Aujourd’hui, elles ont conscience de ce qu’elles valent. Les femmes de ces groupes d’épargne et les hommes qui les y ont rejointes occupent une place respectée au sein de l’économie de leur communauté, et possèdent le pouvoir d’aider à améliorer les vies de ceux qui les entourent.
Des femmes qui n’avaient que peu d’argent à leurs débuts développent maintenant leur influence économique. Ceux qui rêvent d’agrandir leur commerce ont cette force. Elles ont quelqu’un vers qui se tourner en cas de désastre.
« Ça change nos vies. », déclare fièrement Ejigayehu. « Nous n’avons plus à dépendre financièrement de nos maris. Nous nous sentons utiles, tout comme nos hommes. »
En entendant ces paroles, je repense à cette femme importante dans ma vie, une femme qui connaissait sa valeur et m’a aidé à découvrir la mienne. Mais je n’ai pas le temps de replonger dans ce souvenir. Ce n’est pas le moment.
C’est bientôt l’heure du café, et tout le monde s’assoit. Je me penche en avant sur ma propre chaise. Comment se déroule cette vieille tradition?
Boire des gorgées de tradition
Ejigayehu sert du café à tout le monde en inclinant sa cafetière au-dessus des tasses disposées sur le plateau. Elle tient le récipient un pied au-dessus des tasses et verse d’un seul mouvement continu, jusqu’à ce que chacune soit remplie.
Le café fumant vient à peine d’être retiré du feu. Je me souviens des anneaux de carton que nous utilisons au Canada pour protéger nos doigts. Est-ce que mes mains de citadin pourront supporter cette chaleur?
Mais je me détends lorsque l’on me présente mon café. Certaines tasses traditionnelles n’ont pas d’anse, mais celles-ci en ont. Je suis content de ne pas avoir à préciser « comment je préfère mon café » dans la langue locale! On me sert mon café sucré et sans lait, mais j’apprends que ce groupe aime parfois le déguster avec du beurre traditionnel et du sel.
Nous levons nos tasses, et à ce moment, je me sens connecté avec toutes les personnes présentes dans cette pièce. Nous partageons tous une infusion venue des mêmes plants, cultivés dans les mêmes pieds carrés de sol éthiopien. Le café a d’abord été découvert en Éthiopie, et l’Arabica que nous buvons aujourd’hui en est le descendant.
Ces grains de café n’ont jamais été transportés en camion, mais seulement dans des paniers. Ils n’ont pas été emballés dans un entrepôt, mais laissés à sécher au soleil. Aucune main étrangère ne les a manipulées.
Cultiver le meilleur
Les cérémonies du café durent le temps de trois infusions, et chaque service est un peu moins fort que le précédent, à mesure que le marc de café s’épuise.
Tout en me servant ma troisième tasse, on m’offre un bol d’orge grillé et de noix, une collation locale appelée « kolo ». On me sert aussi une tranche d’une grosse miche de pain appelé du « difo dabo ».
Une communauté tissée serrée, mais qui accueille chaleureusement les nouveaux venus! Photo : Brett Tarver
Je me sens vraiment bien et incroyablement détendu pour un étranger en terre étrangère. Comme je regarde autour de moi les visages de ces femmes fortes qui m’entourent, je me souviens à nouveau de cette femme unique que j’ai connue : ma grand-mère, Edna. Elle avait les mêmes yeux qu’Ejigayehu, brillants d’intelligence. À une époque où les cercles de pouvoir et d’influence étaient largement réservés aux hommes, le travail d’Edna (élever ses enfants, entretenir sa maison) était invisible aux yeux du monde.
Mais ma grand-mère avait un super pouvoir : elle était responsable du budget familial. Edna a fait des recherches, demandé des conseils quand elle en avait besoin et a investi les revenus du foyer dans des actions. Tout comme les femmes de ce groupe d’épargne, ma grand-mère a vu ses économies grossir.
Durant mon secondaire, alors que je suivais un cours en investissements, je me souviens avoir souvent pris des conseils auprès de ma grand-mère. Grâce à elle, j’ai construit le portefeuille le plus performant de la classe.
J’ai vu la même chose se produire aujourd’hui
, lorsque l’un des jeunes fils d’Ejigayehu a ouvert sa tirelire. Elle débordait d’argent, encore plus que celles de mes propres filles! Ejigayehu est très fière de pouvoir responsabiliser ses enfants de cette manière.
La chaleur et la sagesse d’Ejigayehu me rappellent ma grand-mère. Photo : Brett Tarver
Ici, mon dernier arrêt en Éthiopie m’a offert un souvenir inoubliable à ramener au Canada.
Je savoure les dernières gorgées de mon café en pensant au pouvoir et à l’influence que les femmes peuvent avoir dans leur famille et leur communauté. Je me souviens d’Edna et je suis reconnaissant d’avoir pu la retrouver aujourd’hui sous les traits d’Ejigayehu.
Avoir été témoin des réussites d’Ejigayehu, de sa communauté et de Vision Mondiale me remplit d’espoir pour une Éthiopie Sans faim. Pour un monde Sans faim. C’est incroyable comme une tasse de café peut vous emporter loin.
Par Brett Tarver
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